Une
fois n'est pas coutume, j'ai envie d'exprimer en ce 8 mai 2016, ma
fibre féministe issue des formidables femmes de ma vie et de la vie
en général, ces femmes qui sont des exemples pour des femmes
d'aujourd'hui, en France, en Europe et dans le Monde.
Je
voudrais qu'on pense à toutes ces femmes qui ont connu la deuxième
guerre mondiale directement ou indirectement, celles qui étaient en
plein cœur de ces atrocités, celles qui attendaient ou qui
attendraient toujours, éternellement un enfant, un amour qui ne
reviendrait jamais.
Je
voudrais penser à celles qui ont fait des actions qu'elles
regretteront à jamais mais qu'elles étaient obligées de faire pour
vivre, juste pour vivre.
Je
voudrais avoir une pensée pour ces femmes rusant pour obtenir des
bons alimentaires pour leurs enfants ou leurs aînés.
Je
voudrais penser à ces images de femmes juives tondues juste parce
que leur religion ne convenait pas à certains
Je
voudrais penser à ces femmes ou ses filles emportées dans des
trains de nuit, wagons de l’horreur vers des camps de concentration
qui seraient leur dernier lieu de vie et les plus grandes victimes ce
sont ces mères juives contraintes d'assister dans les camps de la
mort, à la torture et à l’assassinat de leurs jeunes enfants
Je
voudrais me souvenir de ces jeunes femmes sélectionnées sur des
critères raciaux précis (les cheveux blonds et les yeux bleus)
entraînaient dans des centres de reproduction forcée et donnant
naissance à des bébés qui seraient par la suite envoyés dans des
familles allemandes ou des centres de contrôle aux conditions
d'éducation strictes et orientés.
Je
voudrais avoir une pensée pour Edmonde Charles Roux, décédée le
20 janvier dernier et qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale,
fut infirmière ambulancière volontaire dans une unité de la Légion
étrangère. En 1940, pendant l’invasion de la France, elle est
blessée à Verdun en portant secours à un légionnaire. Ensuite,
elle intègre la Résistance, toujours comme infirmière. Après le
débarquement de Provence d’août 1944, elle est rattachée à la
5e division blindée où elle exerce encore comme infirmière mais
aussi comme assistante sociale divisionnaire. Elle a sous sa tutelle
le 1er régiment étranger de cavalerie et le régiment de marche de
la Légion étrangère. Décorée de la Croix de Guerre, avec
plusieurs citations, elle est faite chevalier de la Légion d'honneur
en 1945.
Je
voudrais me souvenir, plus personnellement de deux des femmes de ma
vie qui, chacune ont vécu, à quelques kilomètres de distance, des
moments difficiles lors de la seconde guerre mondiale.
Andrée
Genolher, 21 ans au début de cette guerre, était placée dans une
demeure d'Atuech qui fut réquisitionnée par les Allemands. Quand
elle me parlait rarement de cette période, c'était toujours en
discrétion, à voix basse de peur que des voisins ou mon grand-père
n'entendent et revivent ces mauvais souvenirs. Elle me disait
toujours, sans doute pour me rassurer qu'ils, sans jamais les nommer,
qu'ils avaient été gentils avec elle et toujours elle me parlait
d'un soldat allemand qui, un jour, avait sorti une photo pour lui
montrer sa femme et son enfant dont il n'avait pas de nouvelles.
C'était un peu comme si ma grand mère voulait me dire que tout le
monde avait été malheureux dans cette guerre, c'était comme si,
comme à son habitude, elle pensait aux autres avant de penser à
elle et à ce qu'elle avait pu vivre.
Lucie
Estienne, 23 ans, le jour où elle a croisé l'horreur. Ce drame se
situe au lieu dit Bézut, vers Euzet les Bains. Le mercredi 23 août
1944, vers midi, le village d’ Euzet les Bains est en liesse car il
reçoit un groupe de maquisards qui sentant une victoire proche
pavoisent d’un drapeau tricolore le premier étage de la mairie. La
joie est générale, c’est la fin de l’occupation, de la guerre
et des privations.
Hélas,
le rêve passe très vite, vers 15h, un détachement de cyclistes
allemands est signalé vers Montaren se dirigeant vers Euzet les
bains. Les maquisards et quelques Euzétiens se portent aux limites
ouest de la commune, s’embusquent et livrent un court combat. Il y
a des pertes chez l’ennemi surpris, mais le docteur Chabaud, le
chef des camisards est blessé et deux résistants sont tués.
60
ans plus tard, je conduisais ma grand mère vers Uzès et tout
naturellement, les yeux dans le vague, elle m'a déclaré :
« j'ai failli mourir ici le 23 août 1944 » Et
elle m'a raconté en quelques mots sa version de l'Histoire. Elle
était en vélo et a croisé le détachement de cyclistes allemands
qui lui ont dit poliment « Bonjour Mademoiselle »
Elle leur a répondu poliment aussi mais avec un cœur battant à 200
à l'heure. Les jambes flageolant, elle était décidée à aller
prévenir les habitants d'Euzet, elle n'a pas eu le temps c'est alors
qu'elle a entendu les coups de fusil cinq minutes après avoir croisé
les Allemands.
Comment
s'imaginer que les personnes qu'on aime du fond du cœur et qui sont,
là, juste à côté de soi, puissent avoir vécu ces horreurs ?
Voilà,
pourquoi il est essentiel de se souvenir, de raviver ses souvenirs
quand on sent que c'est le moment et surtout de transmettre cette
mémoire, la mémoire de ceux qui ont vécu et qui ne sont plus là,
transmettre pour ne pas reproduire...
Aujourd'hui,
71 ans après, j'ai souhaité raviver un peu le souvenir de toutes
ces femmes, celles que j'ai citées et toutes les autres, non pas
pour vous montrer l'émotion qui est la mienne mais juste pour se
remémorer ces atrocités, ces horreurs mais aussi ces magnifiques
élans de solidarité, de respect, de tolérance et de fraternité.
Pour
conclure, je voudrais penser à une autre grande résistante, Lucie
Aubrac qui, à la libération, créa la revue féministe « La
Femme » dans lequel figure entre autre un reportage sur le camp
des femmes de Ravensbrück, reportage écrit par Simone Saint Clair
également déportée dans ce camp. C'est sans doute l'un des tout
premiers témoignages parus sur les camps de concentration. Elle
inséra dans sa revue cette conclusion : « Cette paix
sanglante et heureuse comme une nouvelle accouchée, nous allons bien
la soigner, la fortifier et l'aimer. Tellement l'aimer avec notre
labeur et nos désirs joyeux que jamais les petits enfants de
Londres, Rouen, Berlin, Leningrad ou Shangaï ou
même Massillargues-Atuech ne reconnaîtront l'horreur des
caves sous les bombardements, les parents assassinées, la faim, la
saleté, toute la fureur guerrière et imbécile du fascisme »
J'avais
besoin en ce 8 mai 2016 de vous exprimer tout cela et de terminer sur
ces paroles de Simone Saint Clair : « cette paix
sanglante et heureuse... nous allons bien la soigner, la fortifier et
l'aimer. » En effet, j'ai l'impression que dans les jours
que nous vivons de nombreux pans de notre Histoire avec un grand H
s'oublient, il me semble que cette paix nous ne la soignons pas
suffisamment, que nous oublions dans nos rapports avec l'Autre de la
fortifier et malheureusement le fait d'oublier notre mémoire
collective, notre mémoire individuelle engendre que nous n'aimons
plus cette paix et surtout que nous ne l'aimons plus suffisamment
pour la rendre moins fragile et moins délicate.
En
mémoire à toutes les femmes d'ici et d'ailleurs, à celles
d'aujourd'hui, à celles d'hier qui se sont battus et se battent pour
notre liberté à nous tous, femmes et hommes, êtres humains
En
mémoires aux victimes du terrorisme, aux victimes des attentats en
Belgique, en mémoire aux malheureux et aux morts en Syrie, en
soutien aux migrants qui vivent des moments tragiques qui font
résonance à des situations de la 2° guerre mondiale, en soutien à
eux qui sont appelés migrants juste car ils ont dû quitter leur
pays car ils étaient poursuivis, exterminés et qu'ils n'avaient
plus de liberté ;
A
la mémoire de nos résistants, à la mémoire de nos soldats de la
guerre 1939-1945, à la mémoire de nos morts pour la France, à la
mémoire de ceux qui sont morts et meurent encore aujourd'hui sous
les coups de l'intolérance, de la folie, à la mémoire de tous ceux
qui se sont engagés et qui s'engagent de nos jours pour notre
liberté, je vous demande de respecter une minute de silence.