La
commune de Massillargues-Atuech vient de subir ces derniers temps des
décès de figures du village, des femmes et des hommes au destin
intéressant, des femmes et des hommes aux souvenirs incroyables et
des citoyennes et citoyens engagés présents aux événements sur la
commune et en particulier aux cérémonies commémoratives. Présence
sans doute accentuée et effective par rapport aux événements que
ces personnes ont dû vivre ou dont on leur parlait depuis leur
enfance, ils ont grandi avec les anecdotes du père ou de la mère
sur la Grande Guerre, ils avaient souvenance de leurs propres
anecdotes de la deuxième guerre mondiale et puis le temps avance...
Ceci me fait revenir sur le constat que je fais et que nombre d'entre
vous doivent faire aussi sur la présence peu importante d'enfants,
d'adolescents ou de jeunes adultes aux cérémonies commémoratives.
J'ai
donc voulu que mon discours de ce 8 mai 2018 ait pour fil conducteur
la transmission et le devoir de mémoire. Transmettre, c'est
raconter une histoire, c''est raconter l'Histoire. Je vais donc vous
raconter une histoire. Alors, j'aurais pu vous raconter l'histoire
d'un des 55
millions de morts, d'un des 3 millions de disparus, d'un blessé
parmi les 35 millions qu'a compté ce conflit meurtrier.
J'aurai pu vous narrer l'histoire de jeunes femmes Andrée et Lucie
lors de la deuxième guerre mondiale, Andrée et Lucie qui, chacune à
leur manière ont frôlé la mort au contact d'allemands, à
Massillargues-Atuech et à Euzet les Bains mais ces deux histoires,
je vous les ai déjà racontées. J'aurai pu vous parler de mes
parents nés quelques mois après la fin de la guerre 39-45, j'aurai
pu vous parler d'histoires de résistance comme celles que mon grand
père Franou me dévoiler à demi mots voilés ou par bribes dans nos
échanges, j'aurai pu vous parler du déroulement de la bataille de
la Madeleine comme Guy Pompairac peut m'en parler mais là, je vous
laisse le plaisir d'en discuter avec lui.
Je
vais juste vous narrer quelques instants de vie d'une enfant juive
sous l'occupation et qui deviendra une belle dame. Elle se prénomme
Mireille. L'histoire de Mireille est d'abord celle d'un grand nombre
d'enfants du quartier juif du Marais alors voué aux ateliers
textile. Cet enfant-là comme sans doute d'autres de cette époque ne
comprend pas bien pourquoi dans la cour de récréation, on lui
assène parfois des « sale juive », elle dont la religion
est discrète dans sa famille. Mireille a 9 ans et porte l'étoile
jaune le mercredi 15 juillet 1942 quand le secrétaire général de
la police du gouvernement de Vichy, René Bousquet lance la chasse
qui aboutira à l'arrestation de 13000 juifs, dont plus de 4000
enfants, qui seront rassemblés au vélodrome d'hiver puis envoyés
dans les camps de la mort.
Ce
mercredi 15 juillet 1942, c'est un matin d'été étonnamment froid :
Mireille et sa mère sont parties faire la queue devant les rares
magasins où elles ont encore le droit de s'approvisionner. Ce même
jour est publié le décret interdisant les lieux publics aux juifs.
Des voisins alertent Mireille et sa maman que des rafles sont en
cours. Lors de la tristement célèbre rafle du Vel d'Hiv, le papa de
Mireille n'échappera pas aux gendarmes de René Bousquet, il sera
déporté au Camp de Gurs dans les Pyrénées. Mireille et sa maman
réussiront à passer la ligne de démarcation. Des policiers les
arrêteront mais le passeport brésilien de la mère de Mireille les
sauvera, les policiers les laisseront passer. Ce même passeport
sauvera le papa de Mireille qui libéré, retrouvera son épouse et
ses enfants à Lisbonne. Après de nombreux déplacements, la famille
retrouvera Paris en juin 1947. Persuadés que la famille de Mireille
ne survivrait jamais à la guerre, les gardiens de l'immeuble avait
pris possession de leur appartement.
Mireille
est donc une survivante tout comme celui qui deviendra son époux en
1951, Kurt, rescapé d'Auschwitz. Mireille sera toute sa vie une
voyageuse, elle voudra faire découvrir tous les pays à ses enfants
en leur inculquant l'amour des différentes cultures. Mireille était
ouverte, encore plus tolérante, elle parlait allemand, yiddish,
anglais. Elle avait horreur d'un monde reclus sur soi. Elle voulait
transmettre la générosité, la bienveillance, l'amour des autres et
tant encore. Mireille était une épicurienne, bonne vivante,
romantique, amoureuse. Dans son appartement parisien, elle aimait
écouter la voix chaude de Mike Brant, son idole, la gouaille d'Edith
Piaf et les mélodies de Cloclo. Mireille continue sa vie jusqu'à ce
23 mars 2018 où un petit garçon qu'elle connaît depuis l'âge de 7
ans devenu grand et pas très recommandable éteindra sa vie. Sans
doute, par à rapport à son histoire, à ses souvenirs, Mireille ne
supportait pas la violence, elle la comprenait encore moins. Elle
n'était pas méfiante et les épreuves de la vie ne lui avaient pas
enlevé le goût du bonheur jusqu'à ce terrible jour. Tout cela,
tous ces événements, toutes ces valeurs, Mireille les a transmis à
ses enfants et petits enfants. Pour en témoigner, pour son dernier
Adieu, ses enfants avaient invités toutes les religions avec ces
mots « si nos amis chrétiens, musulmans, noirs, protestants,
si tout le monde vient, ce sera montrer qu'on n'est pas prêts à se
résigner » et c'est ainsi que le 28 mars 2018, le peuple
français était réuni main dans la main pour exprimer son émotion
lors de la marche blanche hommage rendue à Mireille Knoll. Mireille
Knoll, cette dame tuée chez elle quelques heures après l'attaque
terroriste de Carcassonne et de Trèbes.
Mireille
Knoll était de ces passeuses de mémoire, de ces citoyens anonymes
qui racontaient les épreuves du passé, dures, éprouvantes et
tristes, qui racontaient pour tenter de comprendre
l'incompréhensible, pour tenter d'affronter les causes de ces drames
et surtout pour tenter d'expliquer l'inexplicable pour qu'il ne se
reproduise jamais.
« Je
connais par bonheur un passeur de lumière amoureux des étoiles et
curieux de la Terre...
Ça
m'a fait tant de bien de savoir qu'il existe des hommes tels que lui
qui souffrent et qui résistent.
Son regard bleu s'éclaire de sage et de marin posé sur l'univers, il m'a montré le chemin, sa passion pour hier mais à croire en demain... Défricheur de l'azur, l’œil toujours en alerte il marche à l'aventure, part à la découverte devant l'immensité qu'il nous reste à connaître.
A quoi sert de rêver si ce n'est pour transmettre. Lorsque l'élève est prêt arrive alors le maître...
Son regard bleu s'éclaire de sage et de marin posé sur l'univers, il m'a montré le chemin, sa passion pour hier mais à croire en demain... Défricheur de l'azur, l’œil toujours en alerte il marche à l'aventure, part à la découverte devant l'immensité qu'il nous reste à connaître.
A quoi sert de rêver si ce n'est pour transmettre. Lorsque l'élève est prêt arrive alors le maître...
A
travers sa mémoire il m'a ouvert les cieux et m'a confié un soir :
quand je serai trop vieux un jour j'y verrai moins et tu seras mes
yeux. Jamais il ne s'endort sans saluer la nuit. Je bénis ce trésor
partager avec lui mon passeur de lumière. Il éclaire ma vie »
Passeurs
de lumière comme l'écrit si bien Yves Duteil, passeurs de
mémoire... Je souhaite aux enfants, aux adolescents et aux jeunes
adultes d'aujourd'hui, de croiser des passeurs de lumières, des
passeurs de mémoire, à vous tous aussi, à nous tous, je nous
invite à être à l'écoute de ces passeurs de mémoire pour ne pas
reproduire les erreurs et les tragédies du passé. Passeurs de
mémoire, c'est aussi ne pas banaliser le rejet de l'Autre, c'est
stopper les blagues à la limite du supportable, c'est dire NON à
des propos racistes, extrémistes dans des lieux qu'ils soient privés
et encore plus publics, c'est ne pas accepter qu'un Président, fusse
t-il, celui de la première puissance mondiale déborde par ses
paroles, ses tweets ou ses gestes, c'est condamner fermement les
propos racistes d'un chef d'escadron, c'est oser s'élever contre des
cris d'animaux et des sifflets dans un stade de football et c'est
tant d'autres gestes, mots et horreurs que l'on vit aujourd'hui
malheureusement quotidiennement.
Soyez
vous mêmes, par votre histoire, par votre patrimoine, par vos
souvenirs, par vos aïeuls, par votre humanité, par votre solidarité
des passeurs de lumières, des passeurs de mémoires pour nos
générations futures.
En
mémoire de nos morts pour la France, en mémoire de tous nos
ancêtres, en mémoire de nos passeurs de lumière, en mémoire de
ceux qui sont revenus sans jamais en parler et sans jamais oublier,
en souvenir de ceux qui sont morts, en mémoire de nos soldats en
combat au moment où je parle, en mémoire des peuples opprimés à
travers le monde, en mémoire des victimes de l'antisémitisme, du
racisme et du terrorisme en France et dans le monde entier, en
mémoire de Jean Mazières, Christian Medves, Hervé Sosna, Arnaud
Beltrame, Mireille Knoll mais aussi Sarah Halimi, Brahim Bouarram et
trop d'autres, je vous demande de respecter une minute de silence.