« La guerre est gagnée ! Voici
la Victoire ! C'est la victoire des Nations unies et c'est la
victoire de la France ! L'ennemi allemand vient de capituler devant
les armées alliées de l'Ouest et de l'Est...
Tandis que les rayons de la gloire
font, une fois de plus, resplendir nos drapeaux, la patrie porte sa
pensée et son amour d'abord vers ceux qui sont morts pour elle,
ensuite vers ceux qui ont, pour son service, tant combattu et tant
souffert ! Pas un effort de ses soldats, de ses marins, de ses
aviateurs, pas un acte de courage ou d'abnégation de ses fils et de
ses filles, pas une souffrance de ses hommes et de ses femmes
prisonniers, pas un deuil, pas un sacrifice, pas une larme, n'auront
donc été perdus ! »
Il est 15h le 8 mai 1945 lorsque le
Général de Gaulle sur les ondes fait cette déclaration. En même
temps, les cloches des églises retentissent dans toutes les communes
de France.
Lors d'une commémoration des 70 ans
de la libération du camp de concentration de Dachau, devant les
derniers déportés encore en vie, la chancelière allemande Angela
Merkel a appelé « à ne jamais fermer les yeux » en
insistant sur le devoir que nous avons de ne jamais fermer les yeux
ou les oreilles face à ceux qui injurient, menacent ou agressent
ceux qui disent qu'ils sont juifs »
Ne jamais fermer les yeux ni les
oreilles et garder bien intact les souvenirs d'histoire de notre
enfance : une crise importante, des gens qui ne croient plus en
rien ni en personne et Hitler qui, tranquillement, arrive au pouvoir.
Toute commémoration du 8 mai ou du 11
novembre est particulière. Cette année, 70 ans après, suite aux
attentats dans les locaux de Charlie Hebdo, suite aux événements
dans l'hypermarché Casher, suite à l'attentat raté envers une
église et suite au décès d'Aurélie à Villejuif, cette cérémonie
prend une connotation douloureuse et accablante. Je sais que vous ne
m'en voudrez pas d'insister sur l'ensemble de ces points. La peur de
l'autre est le point commun à ces tragédies. La peur de l'autre, la
peur de ses crayons, la peur de ses stylos, la peur de sa liberté
d'expression, la peur de sa religion, la peur de sa liberté de
conscience, les peurs en tout genre engendrent ces tragédies
humaines.
Je comprends que les gens aujourd'hui
soient perdus comme ils pouvaient être perdus avant la deuxième
guerre mondiale cependant il faut se souvenir toujours de ce que la
peur de l'autre, la peur de sa religion, la peur de sa couleur
peuvent engendrer si nous n'y prenons pas garde. Ici, près des
Cévennes, cette peur de l'autre, cette peur de religion rappelle là
aussi un autre événement historique dont nous célébrons en 2015
le tricentenaire de sa fin : la guerre des Camisards. Même
cause, même effet ! Cette guerre des religions, ses causes, ses
conséquences et l'air de liberté qu'elle a insufflé sont
essentiels pour notre territoire et surtout sont essentiels pour
notre liberté de conscience.
Un choc moral sans précédent, la
stratégie de la terreur, la découverte incessante de nouveaux
charniers, le désarroi face à l’étendue des souffrances,
l’incompréhension devant l’horreur de l’univers
concentrationnaire et le sentiment d’épouvante attaché à la
conscience progressive du génocide expliquent la violence, la
profondeur et les effets durables du choc moral provoqué par la
deuxième guerre mondiale.
Les années de guerre ont appris à
vivre dans un environnement quotidien de violences aveugles, de
traitements inhumains, de haine raciale, d’agressions, de
contournements de la règle et de comportements en marge de la loi
qui ne surprennent plus. La banalisation du pire appartient à
l’héritage tragique de la Seconde Guerre mondiale.
La guerre totale et sa dimension
planétaire bouleversent l’état du monde. L’hécatombe la plus
meurtrière de l’histoire provoque un traumatisme tel qu’il
conduit les Alliés à traduire les responsables de l’Axe devant
des tribunaux militaires internationaux. La volonté de construire un
nouvel ordre du monde, qui établirait les conditions d’une paix
durable, débouche sur la création de l’Organisation des nations
unies (ONU) en juin 1945. L’énormité des moyens de destruction à
l’œuvre sur plusieurs continents, les massacres restés inconnus,
le mélange, chez les victimes, de civils et de militaires aux
statuts parfois mal définis, sont quelques-unes des raisons qui
rendent impossible un décompte précis des morts. Cependant, on peut
annoncer 60 millions de morts dont 35 millions de civils. Des drames,
des morts, des blessés physiquement et psychologiquement marquent
donc la seconde guerre mondiale.
Ma question de ce jour qu'on dit de
victoire est le temps, la durée du pardon. 70 ans après la fin de
la deuxième guerre mondiale, on peut se demander combien de temps
faudra t-il pour que chacun puisse pardonner à l'autre. 70 ans
après, les protagonistes de ces terribles jours sont grands parents
et arrières grands parents. Qu'ils soient français, allemands,
combien de temps faudra t-il pour pardonner, accepter le pardon,
présenter des excuses ? Faut il qu'aujourd'hui les petits
enfants, les arrières petits enfants des acteurs de cette tragédie
portent en eux les stigmates de ces années de barbarie et de
revanche ? Je ne vais pas vous apporter de réponses à ces
questions. Je vous laisse juste la réflexion : « Et si
j'étais né en 17 à Leidenstadt sur les ruines d'un champ de
bataille, aurais-je été meilleur ou pire que ces gens si j'avais
été allemand? Bercé d'humiliation, de haine et d'ignorance, nourri
de rêves de revanches, aurais-je été de ces improbables
consciences larmes au milieu d'un torrent? »
Pour conclure ce discours, je vais
emprunter les paroles d'Yves Duteil sur la chanson des Justes :
" Une gare au petit jour, dans le
froid et la peur et des soldats tout autour qui hurlent dans des haut
parleurs. Les wagons refermés comme un tombeau, des mains se tendent
à travers les barreaux mais leur appel est resté sans écho. On a
compris bien trop tard l'horreur qu'ils ont vécue, la blessure dans
les regards de ceux qui en sont revenus, les yeux couleur de cendre
et de brouillard, des barbelés gravés dans leurs mémoires mais
dans le cœur un indicible espoir.
Vivre un jour, une heure, là bas c'est
braver le silence, dépasser la mort d'un pas devant ceux qui
s'enivrent et dansent. Dans ce voyage infernal où tant d’âmes ont
sombré, celui qui sauve une étoile
éclaire l'univers tout entier. Des
lueurs que les justes ont allumé, la porte entrebâillé dans
l'escalier
sur le dernier refuge inespéré, au
jardin du souvenir des cailloux sont posés et les arbres ont beau
fleurir à chaque printemps retrouvé, peut-on un jour apprendre à
pardonner le désespoir, les larmes et les années que jamais rien ne
pourra effacer, que jamais rien ne pourra effacer."
En mémoire de nos morts pour la
France, en mémoire de tous nos ancêtres, des miens et des vôtres,
en mémoire de ceux qui sont revenus sans jamais en parler et sans
jamais oublier, en souvenir de ceux qui sont morts, en mémoire de
nos soldats en combat au moment où je parle, en mémoire des
peuples opprimés à travers le monde, en mémoire des disparus
innocents lors des attentats des 7 et 9 janvier derniers à Paris, en
mémoire d'Aurélie Châtelain et en pensée à sa fillette, en
soutien à Serge Atlaoui, en mémoire de ceux qui ont perdu la vie au
Népal, je vous demande de respecter une minute de silence.
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