Quand au bout de huit
jours, le repos terminé
On va reprendre les
tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la
pile,
Mais c'est bien fini, on
en a assez
Personne ne veut plus
marcher,
Et le cœur bien gros
comme dans un sanglot
On dit adieu aux civelots,
Même sans tambours, même
sans trompettes
On s'en va là-haut, en
baissant la tête.
Adieu la vie, adieu
l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est
pour toujours,
De cette guerre infâme,
C'est à Craonne, sur le
plateau
Qu'on doit laisser sa
peau,
Car nous sommes tous
condamnés,
Nous sommes les sacrifiés.
Huit jours de tranchées,
huit jours de souffrances,
Pourtant on a l'espérance,
Que ce soir viendra la
relève
Que nous attendons sans
trêve.
Soudain dans la nuit et
dans le silence
On voit quelqu'un qui
s'avance,
C'est un officier, un
chasseur à pied
Qui vient pour nous
remplacer.
Doucement dans l'ombre
sous la pluie qui tombe,
Les petits chasseurs vont
chercher leur tombe.
C'est malheureux de voir
sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la
foire
Si, pour eux la vie est
rose,
Pour nous c'est pas la
même chose.
Au lieu de se cacher, tous
ces embusqués
Feraient mieux de monter
aux tranchées
Pour défendre leur bien
car nous n'avons rien
Nous autres, les pauvres
purotins
Tous les camarades sont
enterrés là
Pour défendre les biens
de ces messieurs là.
Ceux qu'on le pognon,
ceux-là reviendront
Car c'est pour eux qu'on
crève.
Mais c'est fini, car les
troufions
Vont tous se mettre en
grève.
Ce sera votre tour,
messieurs les gros
De monter sur le plateau,
Car si vous voulez la
guerre
Payez-là de votre peau !
En ce 11 novembre 2012, ce
sont par ces paroles touchantes, émouvantes et dures que je voulais
débuter mon discours commémorant la fin de la guerre 14-18. Cette
guerre appelée Grande Guerre par sa durée et le nombre de victimes
qu'elle a faite. Il est toujours bon, 94 ans après de rappeler le
terrible bilan de cette guerre : dans le monde, 9 millions de
morts, 6 millions de mutilés. Pour la France: 1 400 000 morts, dont
600 000 victimes civiles ; 630 000 veuves et 700 000 orphelins de
guerre.
Les paroles que je vous ai
lues tout à l'heure sont celles de la Chanson de Craonne, une des
plus célèbres chansons composées par les poilus au cours des
mutineries de 1917. L'offensive de Nivelle s'était terminée par un
massacre au Chemin de dames avec 147.000 tués et 100.000 blessés en
deux semaines... Cette guerre durait, durait pour les soldats sur le
front, constatant à chaque attaque le terrible bilan de morts et de
blessés qui en résultaient. Pourquoi ? Pour qui ? Ces
mots interrogatifs revenaient sans cesse dans la tête de ces hommes
ayant délaissés trop jeunes, leurs mères, leurs femmes et leurs
familles. Le moral était au plus bas, et certains régiments
refusèrent de monter en ligne. Des mutineries sont constatées dans
près de soixante divisions, sur les cent que comptaient l'armée
française. Pétain est appelé pour rétablir la situation, et il
réprima sévèrement les refus d'obéissance. Il y eut plus de 500
condamnations à mort, mais beaucoup moins furent exécutées...
Cette chanson fut bien sûr
interdite, et on promit même une récompense à celui qui
dénoncerait son auteur: un million de franc-or et la démobilisation
immédiate! Mais aucun poilu n'eût la lâcheté de dénoncer un
camarade, ce qui prouve qu'au milieu de tant de détresse et de
désespoir, la solidarité n'était pas un vain mot.
C'est ceci qui m'a incité
à vous livrer ce texte. Imaginez que dans tant d'horreur, tant de
sang, ces hommes aient pu garder en eux des valeurs fortes, justes
est impensable aujourd'hui, me semble t-il. La solidarité, haute
valeur humaine me fait penser à la liberté de conscience, que nous
continuons tous à défendre en particulier sur notre territoire qui
a connu tant d'oppressions pour des combats justes, loyaux, la
défense de sa religion, la défense de penser différemment des
autres.
En effet, aujourd’hui,
en ce 11 novembre 2012, alors que presque tous les témoins de cette
tragédie ont disparu, alors qu’en France le dernier soldat
survivant de cette guerre atroce n’est plus, alors que les haines
se sont éteintes, que l’esprit de revanche semble avoir disparu,
que nul parmi ceux qui se sont tant combattus ne songe plus à
dominer l’autre, le temps est venu d’honorer tous les morts…
Je pense aussi à ceux qui
n’ont pas tenu, à ceux qui n’ont pas résisté à la pression
trop forte, à l’horreur trop grande et qui un jour, après tant de
courage, tant d’héroïsme sont restés paralysés au moment de
monter à l’assaut. Je pense à ces hommes dont on avait trop
exigé, qu’on avait trop exposés, que parfois des fautes de
commandement avaient envoyés au massacre et qui un jour n’ont plus
eu la force de se battre.
Cette guerre totale
excluait toute indulgence, toute faiblesse. Mais 94 ans après la fin
de la guerre, il faut reconnaître que beaucoup de ceux qui furent
exécutés alors ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas
été des lâches, mais que simplement ils étaient allés jusqu’à
l’extrême limite de leurs forces.
Je veux dire que la
souffrance de leurs épouses, de leurs enfants fut aussi émouvante
que la souffrance de toutes les veuves et de tous les orphelins de
cette guerre impitoyable. Souvenons-nous qu’ils étaient des hommes
comme nous avec leurs forces et leurs faiblesses. Souvenons-nous
qu’ils auraient pu être nos enfants. Souvenons-nous qu’ils auraient pu être nos pères. Souvenons-nous qu’ils
furent aussi les victimes d’une fatalité qui dévora tant d'hommes qui n’étaient pas préparés à une telle épreuve. Mais qui
aurait pu l’être ?
Comme le dit Kader Arif,
Ministre délégué auprès du Ministre de la Défense, en charge des
anciens combattants, « la Loi du 28 février 2012 qui
élargit la portée du 11 novembre à l'ensemble des morts pour la
France est la reconnaissance du pays tout entier à l'ensemble des
Morts pour la France tombées pendant et durant la Grande Guerre
qui devait être la Der der Der qui s'exprime aujourd'hui, mais
aussi ceux qui ont laissé leur vie en Afghanistan. Cette loi
s'inscrit dans une politique commémorative ambitieuse qui vise à
transmettre la mémoire , à favoriser la compréhension de notre
histoire nationale commune et son appropriation par les jeunes
générations . Les parlementaires du début des années 20
avaient voulu que la journée nationale du 11 novembre soit placé
sous le double signe de la victoire et de la Paix. Ce dernier but
semblait alors bien aléatoire comme allaient le démontrer les
décennies suivantes. Mais finalement, ces parlementaires étaient
des précurseurs. En votant la loi instituant une « Journée de
la victoire et de la paix », ils espéraient que soit célébrée
dans l'avenir une « Journée de la Victoire et de la Paix ».
Le temps et la volonté des peuples leur ont donné raison. »
C'est pourquoi, à la
mémoire de l'ensemble des Morts pour la France, depuis la Grande
Guerre jusqu'à aujourd'hui, sur tous les fronts du Monde, à la
mémoire des fusillés pour l'exemple qui ont le droit d'être
aujourd'hui réhabilités, à la mémoire des deux pompiers récemment
morts à Digne les Bains pour sauver la vie d'une famille, à la
mémoire de ces soldats du feu, de ces soldats de l'eau qui, à
chaque intempérie risquent leur vie pour celle des autres, à la
mémoire de ces mères, de ces pères, de ses époux et épouses, de
ses enfants qui ont perdu dans de nombreuses luttes un être cher, je
vous demande de respecter une minute de silence.
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