Les ombres se
mêlaient et battaient la semelle
Un convoi se
formait en gare à Verberie
Les
plateformes se chargeaient d’artillerie
On hissait
les chevaux les sacs et les gamelles
Il y avait un
lieutenant roux et frisé
Qui criait
dans la nuit sans arrêt des ordures
On s’énerve
toujours quand la manœuvre dure
Et
qu’au-dessus de vous éclatent les fusées
On part Dieu
sait pour où Ça tient du mauvais rêve
On glissera
le long de la ligne de feu
Quelque part
ça commence à n’être plus du jeu
Les
bonshommes là-bas attendent la relève
Le train va
s’en aller noir en direction
Du sud en
traversant les campagnes désertes
Avec ses
wagons de dormeurs la bouche ouverte
Et les songes
épais des respirations
Il tournera
pour éviter la capitale
Au matin pâle
On le mettra sur une voie
De garage Un
convoi qui donne de la voix
Passe avec
ses toits peints et ses croix d’hôpital
Et nous vers
l’est à nouveau qui roulons Voyez
La cargaison
de chair que notre marche entraîne
Vers le fade
parfum qu’exhalent les gangrènes
Au long
pourrissement des entonnoirs noyés
Tu n’en
reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme
dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai
déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en
reviendras pas vieux joueur de manille
Qu’un obus
a coupé par le travers en deux
Pour une fois
qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le
tatoué l’ancien légionnaire
Tu survivras
longtemps sans visage sans yeux
Roule au loin
roule train des dernières lueurs
Les soldats
assoupis que ta danse secoue
Laissent
pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le
tabac la laine et la sueur
Comment vous
regarder sans voir vos destinées
Fiancés de
la terre et promis des douleurs
La veilleuse
vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez
vaguement vos jambes condamnées
Vous étirez
vos bras vous retrouvez le jour
Arrêt
brusque et quelqu’un crie Au jus là-dedans
Vous bâillez
vous avez une bouche et des dents
Et le caporal
chante Au pont de Minaucourt
Déjà la
pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous
n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le
souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous
n’êtes plus que pour avoir péri
En ce 11 novembre 2014,
centenaire du début de la première guerre mondiale, j'ai tenu à
commencer mon discours par ce poème noir, terrifiant de Louis
Aragon. Aragon ne nous a guère habitué à ce style de poème.
D'habitude, il préférait parler d'amour voire de chagrins d'amour.
Dans le livre « Roman inachevé », Louis Aragon nous
dévoile une facette de sa personnalité, plus sombre, plus triste.
Ce poème de guerre a été écrit en 1956 et il parle de cette
première guerre mondiale qu'Aragon a vécu en tant qu'enrôlé comme
médecin auxiliaire. Durant ces années-là, il a été frappé par
les morts de nombreux blessés y compris celle d'un jeune soldat
allemand lecteur de poésies. Dans son poème, Aragon décrit un
compartiment d’un train de transport de troupes qui montent au
front. Les soldats de ce compartiment seront tous tués et le poète
voit le monument aux morts sur lequel leurs noms seront gravés dans
un des plus beaux quatrains de la poésie française où le mot
répété « Déjà » sonne comme un glas jusqu’au
dernier vers éblouissant : « Déjà vous n’êtes plus que
pour avoir péri ».
Louis Aragon voit ce
monument aux morts comme celui devant lequel nous sommes recueillis
aujourd'hui, monument aux morts comme il en existe pratiquement dans
toutes les communes de France. Dernièrement, je regardais une
émission où dans un petit village, deux dames d'une quarantaine
d'années se questionnaient devant cet édifice : « mais
qu'est ce donc ? Il y a des noms écrits dessus ? »
Et là, j'ai eu honte, honte pour mon pays, honte pour mes
compatriotes, honte pour ces soldats qui se sont battus jusqu'au
bout, honte pour nos morts pour la France. Je peux admettre qu'on ne
se rappelle pas de certaines dates, de certains lieux mais qu'on ne
sache pas ce qu'est un monument aux morts, là je ne comprends pas !
C'est dans ces moments-là
que l'on se dit que le devoir de mémoire est indispensable et que le
souvenir de la première guerre mondiale doit être pérennisé, que
les cérémonies comme celles d'aujourd'hui ont un objectif, une
force et une importance de plus en plus grande en particulier dans le
contexte que nous vivons aujourd'hui.
Alors souvenons nous...
Souvenons nous des causes
de ce conflit mondial. Certes, il y a eu l'assassinat de l’archiduc
François-Ferdinand, héritier de l'empire austro-hongrois, et de son
épouse à Sarajevo le 28 juin 1914 par le jeune nationaliste serbe
Gavrilo Princip mais cet événement apparaît aujourd'hui comme un
simple fait divers qui ne peut évidemment rendre compte des origines
de cette guerre. Celles-ci sont beaucoup plus à rechercher dans
l'état de tension croissant de la situation internationale, le
climat s’est dégradé entre la France et l'Allemagne, puissances
coloniales qui se disputent l'Afrique..D’autre part, chaque pays a
engagé une véritable course aux armements et au renforcement de ses
effectifs militaires. Ces diverses causes entraîneront des
conséquences effroyables et sanguinaires.
Souvenons nous du terrible
bilan humain pour le monde entier, 12 millions de morts et la France
quant à elle déplore 1 400 000 morts , 740 000 invalides, 3
000 000 de blessés, des centaines de milliers de veuves et
d'orphelins
Souvenons nous de ce 3
août 1914 et de ce tocsin qui retentit dans toutes les communes de
France et de la mobilisation qu'il entraîne...
Souvenons nous de cette
peur qui jaillissait des tranchées
Souvenons des tirailleurs
africains qui se sont battus pour la France
Souvenons nous des
fusillés pour l'exemple
Souvenons nous du courage
de tous ces soldats
Souvenons nous de ceux qui
en ont échappés et de ceux qui y sont restés
Souvenons nous de ceux qui
n'ont pu raconter, jamais, l'effroi et l'horreur d'une guerre
Aujourd'hui, il nous
appartient à toutes et à tous de nous souvenir de ce 11 novembre
1918, de cette paix que chacun croyait alors éternelle, ce devait
être la Der des Ders
Souvenons nous de tout
cela et plus encore, souvenons nous afin de préserver la paix, cette
paix que nos ancêtres ont obtenu au prix de leur vie, souvenons nous
afin de défendre les fondements de notre République et de l'Europe
Souvenons nous tout
simplement malgré le temps qui passe et qui nous éloigne d'un
siècle que cette guerre a ouvert
Souvenons nous pour ne pas
reproduire les erreurs et les horreurs du passé
Souvenons nous pour
accepter la diversité, pour comprendre les différences
Souvenons nous pour être
tolérants, pour avoir du respect pour l'autre et le prendre tel
qu'il est
Souvenons nous... tout
simplement
Menotti AGNOLINI Mort pour
la France / Emile BERBILLER Mort pour la France / Paul BERBILLER
Mort pour la France / Auguste BERNARD Mort pour la France / Gustave
BRUNEL Mort pour la France / Onésime COSTE Mort pour la France /
Georges COSTE Mort pour la France / Edmond DHOMBRES Mort pour la
France / Jules GENOLHAC Mort pour la France / Emile GUYON Mort pour
la France /
En mémoire de nos morts
pour la France, en mémoire de tous nos ancêtres, des miens et des
vôtres, en mémoire de ceux qui sont revenus sans jamais en parler
et sans jamais oublier, en souvenir de ceux qui sont morts, en
mémoire de nos soldats en combat au moment où je parle, en mémoire
des peuples opprimés à travers le monde, je vous demande de
respecter une minute de silence.
Merci Aurélie pour ce beau discours et pour la reprise de ton blog ! N'hésite pas à montrer la frimousse de tes deux plus belles créations, un blog, c'est aussi fait pour ça !
RépondreSupprimerBises affectueuses à toute la famille.
Valérie