En ce 11 novembre 2015, je
tiens tout d'abord à m'adresser à vous, Céleste Taillardat,
Alexandre Bocquet, Camila Munoz et Imanol Chatron pour vous remercier
de la lecture de ces textes, textes forts, poignants et qui prennent
une valeur symbolique intense lus par vous.
Céleste et Alexandre ont
lu une lettre de Poilu, Eugène.
Camila a énoncé les mots
de l'écrivain allemand Erich Remarque tirés de son roman « A
l'Ouest, rien de nouveau » paru en 1929 et qui décrit la
Première Guerre mondiale vue par un jeune soldat volontaire allemand
sur le front ouest. Symbole du pacifisme allemand, le roman devient
rapidement un best-seller et est suivi d'autres romans aussi
importants. En 1930, Erich Remarque sera pourchassé par les nazis en
raison de son pacifisme. Il émigrera alors en Suisse puis aux États
Unis. Lors des autodafés allemands de 1933, avec des dizaines de
milliers de livres, ceux d'Erich Remarque seront publiquement jetés
au bûcher par des étudiants, des enseignants et des membres des
instances du parti nazi.
Imanol a lu, quant à lui,
un texte de Roland Dorgelès tiré du roman « Les croix de
bois » paru en 1919 et qui narre le quotidien des soldats de
l'armée française pendant la Première Guerre mondiale. Le titre de
ce roman fait référence aux croix de bois qui se trouvaient le long
des chemins du front, croix de bois faites à la va-vite, et posées
au-dessus des cadavres de soldats allemands ou français. Soldats
inconnus, jeunes soldats, c’est en leur hommage que Roland Dorgelès
écrit ce livre, c’est pour leur souvenir, leur mémoire.
Merci à vous quatre de
m'avoir donné l'occasion de reparler de ces hommes, témoins ou
narrateurs de cet événement tragique que fut la première guerre
mondiale qu'on appelait la Der des Der. Merci à vos enseignants,
Kathy Desplan et Eric Bastide d'avoir mis à égalité en ce jour de
commémoration un simple inconnu, un Poilu, Eugène et deux écrivains
allemand et français, deux écrivains de nationalité différente et
pourtant deux écrivains combattant la même chose, la barbarie de la
guerre et témoignant pour le souvenir d'atrocités qu'on ne voudrait
jamais voir se reproduire.
Depuis que je suis Maire,
cela est la première année que des enfants de l'école participent
ainsi à cette commémoration et vous ne pouvez vous imaginer
l'émotion que cela revêt pour moi. 101 ans après, quel symbole que
vous rappeliez ces atrocités pour ne jamais oublier ?
Dimanche 28 mars 1915,
l'hebdomadaire illustré Le Miroir indique « Nouveau
bombardement d’Arras, capitale du Pas de Calais, avec des obus de
tout calibre. Un commencement d’incendie a été rapidement éteint.
Nos pionniers progressent à la Boisselle. En Argonne, jets de bombes
de part et d’autre. En Alsace, nos gains sont caractérisés... Les
pertes ennemies sont considérables. Nous avons abattu un avion
allemand qui survolait la région de Manonvillers et capturé le
pilote et l’observateur. »
Dimanche 28 mars 1915,
Auguste Mignot, directeur d'école durant les années de guerre à
Villers Marmery, commune viticole de la Marne, relate : « 28
mars 1915 / 8 heures Nous avons de nouveau établi notre dortoir dans
la cuisine. Espérons que ce sera seulement pour une nuit.
18 heures / Pour
échapper à un bombardement éventuel, nous partons promener dans la
forêt à 14 heures. Beaucoup de personnes ont fait comme nous et
tous se promettent de ne rentrer qu'après l'heure à peu près
habituelle de la cessation du feu. Nous entendons beaucoup de
canonnade. Il paraît que c'est Verzenay qui reçoit. On se demande
dans quel état sera ce pauvre bourg. »
Dimanche 28 mars 1915,
tout près d'ici, à Atuech, est en train de naître Franck GENOLHER
que certains d'entre vous ici connaissaient, mon grand père. Il y a
100 ans, cela peut sembler loin, très loin pour vous, Céleste,
Alexandre, Camila et Imanol. Pour moi, cela semble près. Mon grand
père est décédé à l'âge de 91 ans, un bel âge paraît-il et
moi, il m'a fallu faire ce discours aujourd'hui pour me rendre compte
qu'il y a 100 ans qu'il naissait. Quand on a des personnes chères à
son cœur à côté de soi, en pleine forme malgré un âge avancé,
on ne se rend pas compte des années qu'ils ont vécu souvent très
souvent des années dramatiques. C'était le cas pour mon grand père.
Je le voyais fort, indestructible et je n'ai pas forcément pris le
temps de lui parler des souvenirs de sa petite enfance, des souvenirs
de l'âge adulte, il avait 30 ans à la fin de la deuxième guerre
mondiale, de ces rappels de la résistance, du maquis.
Dimanche 28 mars 1915, des
bombardements à Arras, des risques d'obus à Villers Marmery, des
attaques à Verzenay et un bébé à Atuech. C'est cela la vie :
des joies et des peines, des rires et des larmes, c'est cela la vie !
J'ai tenu précisément
aujourd'hui, en vous parlant de la naissance de mon grand père dans
le courant de l'année 1915, année la plus meurtrière de la
Première Guerre Mondiale, donner un peu plus de relief, de concret à
cette cérémonie officielle. En effet, après les commémorations du
11 novembre, il n'est pas rare que les journalistes posent la
question de l'importance d'une commémoration quand le dernier Poilu
est mort et que certains ont la sensation que ces guerres ne se
reproduiront plus. J'ai donc voulu concrètement montrer que la
première guerre mondiale n'est pas non plus si loin d'aujourd'hui.
101 ans qu'est ce que cela représente à l'échelle de l'humanité ?
Pas grand chose. J'ai donc voulu concrètement vous dire de ne pas
hésiter à parler à vos Aînés, à vous rappeler avec eux de ceux
qu'ils ont vécu pour vous souvenir à votre tour et passer
l'histoire, la vôtre, l'histoire familiale et puis l'Histoire avec
un grand H. J'ai donc voulu concrètement vous inviter à être
vigilant. J'ai voulu concrètement vous proposer de vous souvenir, se
souvenir de ce passé pour qu'il ne se reproduise jamais. Je souhaite
montrer que les commémorations du 11 novembre sont nécessaires et
utiles à notre devoir de mémoire.
Quand je vois des images à
la télévision dénigrant l'Autre, quand j'entends des paroles
grossières, outrageantes d'hommes ou de femmes politiques, quand je
vois des élus Maires utiliser leur fonction pour fabriquer de toute
pièce un bulletin municipal de la honte, je me dis que ces journées
comme aujourd’hui doivent perdurer le plus longtemps possible pour
se souvenir de ce qui a engendré ces horreurs et ces barbaries.
1 400 000 morts, 740 000
invalides, 3 000 000 de blessés, des centaines de milliers de veuves
et d'orphelins. Ce Monument aux Morts devant lequel nous nous
inclinons aujourd'hui rappelle le souvenir de nos valeureux Aînés
tombés. Dans le souvenir de leurs épreuves et de leur glorieux
comportement, conservons à cette commémoration du 11 novembre 1918,
la réelle dimension que nul n'a le doit d'effacer, d'amoindrir ou
d'ignorer. Ils se sont battus pour un idéal de paix, de liberté et
de fraternité. Ils sont morts pour la France !
Pour conclure,
j'emprunterais les paroles de Robert Goldman pour parler de ce devoir
de mémoire et de nos villages comme le nôtre, touché, bombardé,
orphelin de ses enfants mais qui, plus fort que tout, s'est relevé
de ses cendres, gardant le souvenir de ses luttes et de ses
résistances...
Il ne me reste que des
larmes, ces quelques notes venues d'autrefois et le chant de nos
prières, nos cœurs qui espèrent et le vide sous mes pas.
Il ne me reste que les
cendres de mon village plongé dans le silence.
Je ne suis qu'une
blessure, un cœur sans armure. Comment survivre après ça ?
Mais je suis là, je
n'oublie pas dans mon village balayé par l'histoire...
Je me souviens du rire
des enfants, la voix des hommes quand ils partaient aux champs, les
fêtes des moissons, l'odeur dans les maisons, les éclats d'amour et
de joie.
Mais je suis là,
n'oubliez pas. Effacée des cartes et des mémoires.
Quand ils sont arrivés,
cachés derrière leurs armes, ils étaient des milliers, ils riaient
de nos larmes !
Ils ont voulu détruire
nos croyances et nos âmes avec des mots de haine que l'on ne
connaissait pas.
Je suis ici ce soir au
milieu de ces ruines pour vous parler d'espoir et vous chanter la
vie. Et je fais le serment quand séchera le sang de reconstruire ma
ville bien plus belle qu'avant
Mais n'oubliez pas !
Depuis quelques années,
tous les « morts pour la France » hier dans la Grande
Guerre, dans la Seconde Guerre Mondiale, dans les guerres de
décolonisation, aujourd'hui, dans les opérations extérieures sont
désormais réunis dans le souvenir et l'hommage de la Nation. Ne pas
les oublier et transmettre le message mémoriel aux jeunes
générations est notre devoir et relève de notre responsabilité
collective.
En mémoire de nos morts
pour la France, en mémoire de tous nos ancêtres, en mémoire de nos
Aînés, des miens et des vôtres, en mémoire de ceux qui sont
revenus sans jamais en parler et sans jamais oublier, en souvenir de
ceux qui y sont morts, en mémoire de nos soldats en combat au moment
où je parle, en mémoire des peuples opprimés à travers le monde
et en France, en mémoire de ceux qui font tout au prix de leur vie
pour passer des frontières ou pour traverser des océans et des
mers, en mémoire d'Aylan et de tous les Aylan, en mémoire de ceux
qui fuient leur village pour leur survie, en mémoire d'André
Glucksmann, militant antitotalitariste et fervent défenseur des
Droits de l'Homme, en mémoire d'Helmut Schmidt, ex chancelier de
l'amitié franco allemande, je vous demande de respecter une minute
de silence.
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